La continuité écologique, l’hydroélectricité et le bon état des cours d’eau

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18 janvier 2021

La continuité écologique, l’hydroélectricité et le bon état des cours d’eau…

L’éternel débat qui oppose les pro et anti « hydroélectricité » fait toujours rage à l’heure des questions de société qui portent sur l’impact du réchauffement climatique et des enjeux de développement autour de la question énergétique. L’importance de l’eau à l’échelle d’un territoire, est telle qu’elle en est devenue un sujet sensible qui touche l’ensemble des activités humaines et dont les volumes exploités laissent apercevoir une réalité soulevant de nombreuses interrogations tant sur le plan quantitatif que qualitatif. L’hydroélectricité est donc un des sujets qui cristallise les débats avec d’un côté l’idée que l’utilisation de l’eau s’accommode d’une production énergétique décarbonée, renouvelable et « verte » en accord avec les enjeux du réchauffement climatique. De l’autre, une réalité mesurée où la fonctionnalité des masses d’eau superficielles subit de multiples pressions anthropiques où la présence massive de seuils et barrages occasionnent de véritables dysfonctionnements des écosystèmes aquatiques.

La France consomme annuellement 485 milliards de KWh devant être injectés dans notre réseau à des périodes et volumes extrêmement variables. L’hydroélectricité représentant à ce jour 11% de la production annuelle totale française contre 5% pour les énergies dites renouvelables (éolien, solaire, biomasse,…).

La question est donc légitime : devons-nous continuer à parier sur l’hydroélectricité pour satisfaire nos besoins énergétiques toujours plus élevés ?

A l’heure où les sécheresses à l’échelle nationale semblent devenir récurrentes et que la ressource en eau montre des signes d’affaiblissement inquiétant, la réponse est non.

Même si le principe de l’hydroélectricité paraît séduisant pour le grand public, ne nous y trompons pas. Le potentiel hydroélectrique national, déjà très largement exploité, ne s’élèverait qu’à 12TWh si l’on utilisait toutes les rivières de France. Pour comparaison, cette production théorique représenterait alors 3% de ce que nous fournit aujourd’hui le nucléaire. Reste alors à trouver 393 milliards de Kwh. Dans le Pas-de-Calais, il serait également plus juste de parler de petite hydroélectricité puisque les caractéristiques hydromorphologiques et la faible pente de nos cours d’eau offrent un très faible potentiel de production en comparaison des grands fleuves français comme la Seine ou la Loire. En Artois-Picardie, une petite centrale hydroélectrique développe une puissance moyenne estimée à 30-40 kw, alors qu’une seule éolienne peut en fournir 30 fois plus. Le seuil de rentabilité pour ce type d’installation étant estimé à 500 kW minimum par centrale. En réalité, aucun ouvrage en Artois-Picardie ne dispose de cette puissance installée. Derrière l’image propre véhiculée de l’hydroélectricité se cache une réalité amère pour les cours d’eau des Hauts-de-France : envasement, modifications des gabarits naturels d’écoulements, aggravation du risque d’inondation, dégradation de la qualité physico-chimique de l’eau (eutrophisation), modification des équilibres écologiques au profit d’écosystèmes spécifiques dégradés si l’on s’en réfère aux indicateurs de qualité des masses d’eau et biologiques attendus au sens de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau (DCE).

Mais alors à qui profite réellement la production d’électricité ?

Les producteurs privés d’électricité peuvent choisir de vendre directement leur production aux fournisseurs. Ces contrats assurent un prix d’achat 2 à 3 fois supérieurs au prix du marché (0.065 à 0.11 €/ KWh pour la petite hydroélectricité). Ce différentiel de prix étant pris en charge par l’ensemble des foyers via la taxe CSPE, dont le montant récolté s’élève ainsi à 8 milliards. Une rente financière bien intéressante à qui possèdent ces petites centrales. Dans cette logique financière, il apparait ainsi normal que les coûts associés à la mise aux normes environnementales des centrales hydroélectriques au titre du L214-17 du Code de l’Environnement, par rapport aux continuités écologiques et sédimentaires, soient supportés par les propriétaires et exploitant de ces installations, en qualité de mesures compensatoires. L’accès aux subventions publiques doit permettre uniquement d’impulser leurs volontés plutôt que de financer intégralement leurs obligations régaliennes sur les installations privées qui génèrent des bénéfices. Pour rappel, aux prémices des politiques de rétablissement des continuités écologiques, les coûts de mises aux normes étaient pris en charge à 100% mais force est de constater que les propriétaires privés d’ouvrages n’ont pas pris à l’époque, la mesure des enjeux qui s’imposent à eux aujourd’hui. Là est la nuance !

Si on évoque le problème du patrimoine bâti, et le principe souvent relayé de « destruction des moulins » régulièrement mis en avant, il est également faux,

dans la mesure où les travaux prennent en compte systématiquement les bâtiments ; seul le seuil résiduel associé à l’usage est dans la plupart des cas modifié ou contourné. Sur le terrain, 90% des ouvrages hydrauliques présents actuellement sur les rivières et fleuves du Pas-de-Calais sont à ce jour sans usages et pour la plupart abandonnés, et le sujet du patrimoine n’émerge finalement qu’au moment de la restauration du patrimoine écologique de la rivière, alors même que l’ouvrage est parfois totalement invisible, couvert de ronces .Or, l’entretien de ces ouvrages quasiment tous privés et oubliés, est bien souvent assuré en partie ou pour totalité par les structures de bassin versant dans leur mission d’intérêt général et non les propriétaires à qui incombe prioritairement cette charge. A chaque inondation et compte-tenu de la dangerosité de l’opération, les embâcles accumulés dans les dispositifs de vantellerie ou les vannages mobilisent les personnels des équipes d’entretien des structures de bassin versant dans ce qu’on appelle « l’entretien courant » sans que les financements publics de ces opérations et leur « intérêt général » soient remis en cause, à la lecture des devoirs d’entretien courant associés au droit de propriété. Des projets récents de restauration de la continuité écologique ont démontré que les enjeux patrimoniaux et écologiques étaient compatibles et souvent d’ailleurs, ils s’appuient justement sur des propriétaires d’ouvrages qui ont pris en compte et procédé à l’entretien de leur patrimoine.

Cette situation soulève également la question de la préservation du patrimoine naturel

Elle est au moins aussi importante que la préservation du patrimoine architectural à l’heure des lois sur la biodiversité. La vie aquatique particulièrement riche qui existe au sein des milieux aquatiques du Pas-de-Calais à l’image de la présence du saumon atlantique ou de l’anguille Européenne, espèces patrimoniales emblématiques à haute valeur environnementale, est donc largement impactée par la présence d’ouvrages infranchissables qui réduisent considérablement le renouvellement des stocks piscicoles naturels de nos cours d’eau. L’avancée des connaissances par la tenue d’études scientifiques sérieuses et étayées justifient sans détours l’action menée depuis plus de 10 ans sur l’aménagement des ouvrages hydrauliques existant avec des résultats sur la biodiversité parfois incroyables ou plus nuancés puisque l’hydroélectricité n’est malheureusement pas l’unique pression qui perturbe la fonctionnalité écologique des cours d’eau.

Le SDAGE permet de prioriser les ouvrages hydroélectriques de demain pouvant justifier d’une production adéquate aux enjeux de restauration et de préservation des milieux aquatiques pourvoyeurs, au-delà des aspects écologiques, d’un réel potentiel de développement économique et touristique dans l’intérêt général de tous et de manière durable.

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